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Tournant casse-tête
7 juillet 2014

Tournant casse tête : chapitre n°1

 

 

 

 

Chapitre n°1

 

 

 

Lundi 10 novembre 2008, 12h05,

 

 

« Allô Francis,...

J'en ignore la raison mais, un jour, je me suis mis à appeler mes parents, enfin, papa et maman, par leur prénom respectif et puis, avec le temps, ce mode d'appellation a perduré. Certes, ça peut paraître un peu bizarre, je l'avoue, mais Francis et Sylvie s'y sont habitués, depuis le temps que ça dure.

- ...est-ce que je peux venir manger vers toi à midi car ce matin, j'ai eu un petit problème avec l'ordinateur et comme je n'ai pas encore envie de me faire des nouilles pour le déjeuner ?!

- Enfin, tu sais bien que ta sœur et toi, jamais, vous ne me dérangerez. En plus, je viens de finir la préparation des tomates farcies et ai fait un gâteau aux pommes. Au contraire, si tu te joins à moi, je mangerai un peu moins et cela ne pourra pas me faire de mal ».

Un petit kilomètre sépare la maison de mon paternel du studio où je loge depuis plus d'une vingtaine de mois. Tous deux se trouvent-être situés dans le village de Flogny-la-Chapelle, un petit canton rural de l'Yonne dont les terres sont limitrophes à celles du département de l'Aube.

 

Maison de Francis, 12h30,

 

« Je n'ai plus qu'à en racheter un autre, ça me gonfle vraiment, lui ai-je dit comme pour apaiser un sentiment de frustration qui ne voulait plus lâcher mes pensées.

- Mais qu'est-ce que t'as encore été faire ?

- À ton avis. J'ai fait une connerie et j'ai réessayé de réinstaller un truc sur l'ordi. et maintenant, je crois que j'ai littéralement tout planté.

- Quand, je te dis qu'il faut que tu cesses de le bidouiller. Tu es sans arrêt en train d'installer, de désinstaller, de réinstaller des trucs et des machins... Ce n'est pas étonnant que ça foire à un moment ou à un autre ! J'espère que tu n'as pas été le jeter par la fenêtre, celui-là ?

- Ce n'est pas parce qu'un, a fait, une fois, le grand saut par la fenêtre qu'il faut que je réitère mon geste à chaque nouvel ordinateur qui dysfonctionne. D'ailleurs, je suis assez fier de ma réaction : d'un "self-control" absolu, si tu perçois ce que je veux essayer de te dire...!! Aucune précipitation, aucun agacement, j'ai même essayé de réinstaller le système d'exploitation...

- Le quoi ? »

 

Je sais bien que je m'exprime d'une façon ambiguë, mais là, c'est mon père qui fait preuve de mauvaise volonté. Il ne fait pas l'effort de vouloir me comprendre !

 

« Laisse béton... C'est juste l'ensemble des programmes d'un ordinateur qui permet, comme son nom l'indique, d'exploiter les potentialités de la bécane. Il joue le rôle d'interface entre les logiciels et les matériels.

- Pourquoi, te contredire...! Ma langue maternelle à moi, c'est le français et non le javanais ! »

 

Il s'en fiche éperdument de tous les incidents que je lui expose à propos de cette satanée machine de malheur. Car en réalité, le seul fait qui le préoccupe, c'est de savoir si ce désagrément ne m'a pas trop perturbé, d'un point de vue psychologique. Et si j'ai, tant bien que mal, réussi à relativiser en me disant qu'il ne s'agissait que d'un détail purement technique.

« Tu te rappelles ce qu'il t'avait dit à propos de ces machines trop "con"plexes ?

- Mais de qui, tu me parles ?

- De Monsieur G., "pardi" !

- Attends voir, ne me dit rien, je vais essayer de m'en rappeler...

 

Après quelques instants

 

- … je crois que c'est mort ! »

Force est de constater qu'une fois de plus, ma défaillante mémoire est toujours autant incommodante, je ne parviens pas à en extraire la moindre trace de cet hypothétique souvenir. Laquelle selon mon père aurait dû être, en théorie, "neuro-chimiquement" gravée.

« Essaie de faire un petit effort, essaie de rechercher au plus profond de ta mémoire ce qu'il t'avait exposé ce jour-là, me demande Francis !

- Euh !!! »

 

C’est la seule réaction que j'ai. J'espère juste qu'il puisse me guider sur le chemin de la réponse, comme il l'a toujours fait depuis une huitaine d'années que ça dure.

Je ne veux pas faire l'effort de partir à la recherche de ce souvenir ancré quelque part, au plus profond de mes entrailles neuronales. Même si je sais qu'il m'est dorénavant, possible d'en retrouver la trace imprimée, quelque-part, dans le dédale de cette mémoire instable. Malheureusement la piètre anicroche de la matinée à laquelle, il m'a fallu faire face, m'empêche, qualitativement, de penser d'une façon péremptoire.

 

« Il t'avait dit que les ordinateurs n'étaient que de piètres machines conçues à l'image de leur créateur. Or comme ce dernier n'est qu'un être imparfait, il y avait de très fortes probabilités pour qu'elles le soient également. Ils te reviennent maintenant ses mots, me demande Francis ?

- Bof, bof ! C'est loin tout ça !

- Mais si, rappelle-toi, Mr G. t'avait même conseillé de faire du sport plutôt que de t'abrutir à essayer de te rappeler comment fonctionnait tel ou tel autre programme informatique. »

 

Il est vrai qu'à cette époque, dans ce monde où l'on m'avait plongé, il m’était impossible de trouver les ressources suffisantes pour arriver à faire face, seul, sans qu'un avis ostensible ne finisse par m'influencer d'une manière ou d'une autre. Le fait de faire face sereinement à la piètre anicroche de la matinée, sans se laisser envahir par la frustration due au terrible évènement qui avait envahi ma personne, était tout bonnement impossible à perpétuer.

Même si ce n'est pas gagné d'avance, même si maintenant il est bien plus important pour moi d'essayer de la maîtriser que de l'endiguer, même si je dois pourtant vivre avec, je n'y arrive pas. Il m'est tellement difficile d'être la victime de cette spoliation de moi-même, et que son incidence finit, abusivement, par prendre le dessus. Je crois, qu'en réalité, cette dernière est bien plus forte que ça et influence constamment sur ma façon de penser. Finalement, je crois que c'est cela qui m'empêche d'avancer sereinement, dans une vie identique à celle de monsieur tout le monde !!

 

Pourtant, ce n'est pas l'envie qui m'en manque : à la fois, de me laisser submerger par l'incontrôlable et de constater la personne irréfléchie et incoercible que je suis devenue. Peut-être qu'en me laissant envahir par des années de souffrances, vais-je enfin finir par renaître. J'imagine que cela, au moins, me permettra d'évacuer une petite larme, résultat d’un trop-plein de frustrations emmagasinées depuis presque une décennie de réapprentissages, de retenues et a fortiori, de souffrances. Surtout qu'il me semble bien avoir compris leur petit manège gouvernemental ! Alors, il ne faut en aucun cas me dire que l'éducation nationale a été ou est encore, plus que les autres, solidaire voire salvatrice, des personnes porteuses d'un handicap. Dans la réalité, et à quelques exceptions près, la plupart des « hauts fonctionnaires-dirigeants », travaillant à l'étatique résolution de nos problèmes ne sont, soit que des bonimenteurs de première, soit que des désabusés de ne pas assez en percevoir. Sans doute, ne font-ils qu'obéir à des ordres donnés plus haut. Néanmoins, loin de moi, l'idée de remettre en cause leur boulot. Mais qu'ils arrêtent un peu de jouer aux pauvres petits fonctionnaires surmenés ! Surtout, que les politiques cessent, pour une fois, de dire qu'ils veulent favoriser l'emploi de telle ou telle population différente en se présentant comme le plus noble des Messies. Je commence à en avoir par dessus la tête de cette injustice notoire à l'égard des personnes qui essaient de s'en sortir, que le système oublie une fois qu'il s'est donné bonne conscience et dont il n'a plus besoin des services. Bien que je me convainque du fait que la régence d'un pays tel que la France, ne soit pas simple à mettre en place, je comprends que les Français soient las d'un tel marasme « écomico-politique ».

« Quand on est au fond trou, il est difficile de descendre encore plus bas, mais il n'est tout de même pas si compliqué de reconnaître qu'une évolution positive, ne puisse pas arriver à se faire du jour au lendemain. »

 

Dans ma tête, l'amalgame du tout se fait et se traduit par une rancœur implacable.

Mais contre qui, aujourd'hui, ne puis-je pas éprouver une certaine forme de rancune : celle d'avoir été les seuls à être maîtres de leur destinée ?

 

Après avoir ainsi craché ma rancœur à l'égard du système gouvernemental, je ne peux pas véritablement lui en vouloir. Sans son aide, je n'aurais été là, pour tenter en vain, de lui dresser un illusoire procès d'intention, fondé sur quelque sophisme inapproprié. Je sais qu'il va me falloir redémarrer, pour une énième fois, de la case départ. Un peu comme si j'avais repris une partie interminable de Monopoly et que j'étais tombé sur une carte « Caisse de communauté » ou « Chance » :

« Aller tout droit en prison, ne passer pas par la case départ et ne toucher pas 20000 balles, euh... 20000 francs ! »

 

Malgré ce désappointement insaisissable et après de bien fâcheux événements, je me retrouve, à 28 ans et demi, sans boulot, à rager contre une réalité qui n'arrête pas de me persécuter, depuis quelques années déjà. À les entendre se plaindre pour un oui ou pour un non, les gens m’exaspèrent à chacune de leurs jérémiades. « Et ils nous ont encore augmenté l'essence, et patati et patata, mais comment va-t-on faire ? Ah la conjoncture ! » revendiquent-ils haut et fort, comme s'il n'y avait rien de plus important que leur putain de fric ! Dans mon for intérieur, je me dis : « Rassurez-vous, vous aussi vous serez bien obligés de faire comme les copains, pardi. Ce n'est pas au premier cran qu'il va falloir réajuster votre ceinture, mais bien au trois ou quatrième ! »

Néanmoins, je suis prêt à leur céder ma place s'ils sont partants pour l'aventure ! Hélas, je crains n'avoir que peu ou prou de réponses par l'affirmative, de ces personnes faisant preuve d'une compassion déguisée que l'on appelle, plus communément, humanité.

 

***

 

Mon nom est François et sur l'horloge du temps, avec l'arrivée de cette nouvelle année, les contours de la trentaine se dessinent à grands coups de rotation de la petite aiguille. Mais lui, le temps, il ne fait que passer, condamnant l'homme à suivre l'inexorable fatalité de son présent et pour lequel il se doit d'adapter sa conjugaison. Car comment peut-on arriver à s'épanouir dans le futur, sans repère véritablement organisé de son passé, si ce n'est en profitant de chaque instant ?

Pour tout vous avouer, je ne suis qu'un écrivain du dimanche et, si j'ai décidé qu'il était temps de partir à la recherche d'un passé. C'est que je le présuppose être encore comme latent dans les profondeurs de mon être et de ma cervelle. Mais c'est aussi parce qu'il me faut le faire pour pouvoir combler un manque.

Je voudrais juste trouver la force de me retourner une dernière fois vers cette décennie quasiment achevée. Afin de raviver les meurtrissures que la vie m'a fait subir pour ne pas, indubitablement, en dresser le constat d'un échec établi.

 

En fait, je voudrais que la mise à nu, que je m'apprête à vous narrer, serve à d'autres personnes.

 

Car cette existence est l'élément précieux qui nous permet de tout oublier..., enfin pas tant que ça !!

La vie de l'Homme est-elle suffisamment armée pour se persuader, qu'un jour ou l'autre, d'un plongeon pieds et mains liés vers l'inconnu, jusqu'à la brasse-coulée en eaux troubles, rien ne finisse, ni par refaire surface, ni par subsister, malgré les choix faits. Qu'on le veuille ou non, un certain nombre de déchirures de l'âme, anesthésiées à grands coups de rancœur, s'amenuisent, voire se cautérisent, sans jamais réellement pouvoir se refermer.

Car il est bien souvent impossible de ranimer une flamme déjà éteinte, excepté par magie !

 

Aujourd'hui, j'ai énormément de mal à me persuader de la fatalité de la vie de l'Homme !

La seule que je connaisse, est celle-ci :

 

Le ver est dans le fruit,

L'amour est dans la vie,

L'amer est dans la mort

Et la mort est dans la vie

Alors sachons profiter du jour présent.

 

Je ne suis convaincu de rien et ne crois qu'en moi et en ma famille très ou trop proche. Je ne pense pas que ce soit une forme déguisée d'égoïsme, ni de narcissisme, ni d'un quelconque amour des siens ou de soi. Simplement, à un moment de mon existence, certaines personnes ont réussi à trouver les ressources nécessaires pour m'accompagner dans les méandres tumultueux d'un Styx déchainé. Pour l’ensemble de mes proches et pour moi-même, il nous a fallu passer d'un bord à l'autre, cramponnés au seul rondin restant d'un radeau qui voguait tout droit vers les Enfers.

 

Alors, les mots que j'ai décidé d'écrire, vont certainement choquer les puristes de la langue française. Mais si j'ai pris le temps d'aller les puiser au plus profond de ma mémoire, si j'ai remonté, mentalement, à la rame, une partie de ce fleuve, c'est bien pour qu'ils soient à jamais gravés dans l'ex-voto1 de la conscience de mes proches et qu'ils finissent par s'échapper de la mienne comme le font, majoritairement, toutes mes autres idées.

1 : offrande faite à un dieu en demande d'une grâce ou en remerciement d'une faveur obtenue. Les objets de remerciements peuvent prendre de multiples formes : plaques anatomiques, crucifix, tableaux, mais aussi, selon les régions et les sujets des prières : maquettes de bateaux, t-shirts de sportifs, volants d'automobiles, médailles militaires, etc...

 


 

© tournant casse-tête | 2014 | Tous droits réservés | François Ménard

 

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